Malchance

23 mars 2009

" Allons messieurs! Un peu de calme, je vous prie! Il y a des dames parmi nous! Gardez votre sang-froid!"
Silence soudain dans l'assemblée.
Chuchotements réprobateurs dans le fond de la salle.
" Bon! Voilà qui est mieux! lance, soulagé, le maître de cérémonie. Norbert, s'il vous plaît, veuillez baisser l'éclairage! Ces néons nous aveuglent tous!"
La lumière se tamise.
" Aaaahh" général de l'assemblée.
"- Merci Norbert! Hum hum! Nous allons pouvoir reprendre l'ordre du jour qui est...
- Le mauvais traitement que nous subissons tous depuis des millénaires! coupe une voix aigüe. Je me suis fait cracher dessus pas plus tard que ce matin!
- Et bien, puisque vous semblez avoir beaucoup de choses à dire, je vous invite à prendre la parole devant tout le monde, au lieu de vous cacher dans l'anonymat de la foule, gronde le maître de cérémonie, outré d'avoir été interrompu dans son éloge.
- Mais je ne compte pas me cacher, fait la même voix aigüe. Je ne suis pas venue ici pour des prunes. Laissez moi passer!"
Tout le monde écarquille les yeux: la petite voix, que l'on croyait appartenir à une silhouette fluette, émane d'un tout autre gabarit.
Rires moqueurs.
Le maître de cérémonie semble perdre de sa contenance et s'éloigne discrètement de son pupitre devant la forte corpulence qui s'approche de lui.
"- Madame, la parole est à vous, murmure-t-il dans une courbette de gentleman expérimenté.
- Meeeeeerccccci!, siffle-t-elle. L'heure est grave! se reprend-elle en haussant le ton et en tapant du poignet près du micro, balayant toute l'assemblée d'un effet larsen (assemblée qui se rapetisse aussitôt). Il est temps de réagir. Cela ne peut plus durer...
- Oui, parfaitement, cela ne peut plus durer, coupe une autre voix perdue dans la foule."
C'est alors qu'un brouhaha monumentale s'installe.
" - Je suis d'accord, crie une autre voix. Il faut faire quelque chose.
- Marre de subir les humeurs de mon maître!
- Et de ma maîtresse!
- Et de ces chérubins qui me bavent dessus!
- Ou qui me barbouillent de leurs mains sales!
- Mon maître m'ignore!
- Ma maîtresse veut me remplacer car elle ne me trouve pas assez grand!
- La mienne me menace, elle veut me changer contre un plus petit qu'elle pourra emmener partout!
- Moi, il m'ignore totalement...
- Moi, elle m'aime bien!
- SUFFIIIIIIIIIIIIT! hurle alors la voix aigüe, derrière le micro."
Le silence s'empare de l'assemblée. Tout le monde attend.
Puis la voix aigüe reprend, calmement, tout en cherchant ses mots.
" Ce qu'il faudrait, c'est, euh..., c'est... hum...hum..."
Un grincement de porte résonne dans la salle, laissant apercevoir une silhouette des plus aguichantes. Une voix langoureuse s'en échappe:
" - Moi, je SAIS ce qu'il faut faire!
- Ah oui? fait la voix aigüe-de-derrière-le-micro. Et bien, approchez-vous! Puisque vous semblez si maligne, je vous cède ma place, finit-elle de dire sur un ton un tantinet jaloux.
- Il n'est pas question de malice! Si seulement vous vous étiez un peu plus penchés sur les livres de ces chérubins qui vous salissent de leurs mains pataudes, vous ne seriez pas tous là à maugréer inutilement, dit la splendide créature en se tournant vers l'assemblée qui semble boire ses paroles.
- Vous m'en direz tant! reprend la voix aigüe. Vous ne ...
- Il faut simplement dire à vos maîtres et maîtresses ce qu'ils ont envie d'entendre, de leur montrer ce qu'ils ont envie de voir. Etre le reflet de ce qu'ils ou elles sont vraiment.
- Ben voyons! Parce que vous croyez aux contes de fées, vous?"
C'est alors que le maître de cérémonie, excédé, s'approche de la voix aigüe et trébuche malencontreusement, bousculant ainsi la dame de forte corpulence en disant:
" Ohhhhh, tu nous les brises!"
Titubante, la grosse dame s'effondre et sa voix aigüe se tait.
Et l'assemblée, dans un même cri:
"Nooooooooooon! Pas ça!"

Grand rassemblement international des miroirs.
Fin de l'audience.